Mamadou est Malien. Au mois de février 2022, le jeune homme de 22 ans a réussi à franchir les clôtures de barbelés séparant le Maroc de Melilla pour entrer sur le territoire espagnol. Après avoir demandé l'asile, Mamadou vit aujourd'hui au CETI, le seul centre pour migrants de l'enclave. Vendredi 24 juin, il a été témoin du passage en force de milliers de migrants, notamment au poste-frontière de Barrio Chino, dans le sud de Melilla, non loin de la ville marocaine de Beni Ansar. Au moins 23 migrants ont péri, selon les autorités locales marocaines, suite à cette tentative d'entrée massive.
"Souvent le matin, quand je me réveille, je pars me promener vers les grillages. Ce vendredi-là, j'étais avec un ami et on est allés vers Barrio Chino [du nom d'un des poste-frontières de l'enclave]. Il était 8h du matin, je crois. Durant notre marche, on a entendu et vu un hélicoptère de la Guardia Civil [gendarmerie espagnole] qui volait dans le ciel. Alors on l'a suivi, puis soudain, on a vu des voitures de la police nationale et de la Guardia Civil passer à toute vitesse. On s'est dit qu'il se passait quelque chose.
Quand on est arrivés à Barrio Chino, il y avait énormément de monde. Beaucoup de gens regardaient les barbelés devant eux. Nous étions maintenus à à peu près 500 m de distance, c'était difficile de tout voir.
Mais on a clairement aperçu des dizaines de migrants sur le 3e grillage. Certains restaient tout en haut, d'autres étaient en train de descendre lentement côté Melilla.
Les clôtures de séparation entre le Maroc et l'enclave espagnole se composent à certains endroits de triples barrières barbelées. Il faut donc passer trois étapes avant d'entrer sur le sol espagnol.
Quand les membres de la Guardia Civil sont arrivés à leur niveau, ils ont lancé des gaz lacrymogènes. Il y avait aussi des membres de la police. Certains se sont alors laissés tomber pour aller plus vite et essayer de leur échapper. Il y avait beaucoup de fumée, beaucoup de confusion. J'ai entendu des cris, des cris de détresse, des cris de gens qui sont en train d'être frappés. Je ne sais pas s'ils venaient du côté espagnol ou marocain.
"J'ai aperçu des corps allongés"
À un moment, j'ai aperçu des corps allongés. Ils étaient côté marocain, j'en suis sûr. Ces corps étaient couchés, je ne sais pas si les personnes allongées étaient en vie ou pas. J'étais trop loin.
Des dizaines de personnes ont été blessées, comme le révèlent des images amateurs filmées près de cette frontière, côté marocain notamment. Amoncellement de corps inertes gisant au sol, visages de migrants en souffrance, coups de matraque distribués par des forces de l'ordre sur des hommes déjà à terre... Insoutenables, ces vidéos témoignent de la violente répression policière envers les exilés. Une violence décrite comme inédite.
Côté Melilla, je n'ai pas vu de corps par terre. J'ai vu des gens boiter, des gens courir pour échapper aux forces de l'ordre. J'ai vu aussi des gens se faire menotter. Mais je n'ai pas vu de policiers espagnols s'acharner sur des migrants au sol.
Ce n'est pas la première fois que je suis témoin d'assauts, et puis, j'ai moi-même franchi ces barbelés pour entrer en Espagne. Mais c'est la première fois que je vois autant de moyens déployés, autant de témoins de ce drame, autant de vidéo amateurs circuler.
Parmi les personnes qui ont réussi à passer ce jour-là, beaucoup sont avec moi aujourd'hui au CETI. Il y a quelques Africains francophones, mais l'immense majorité sont des Soudanais."
Le Premier ministre espagnol Pedro Sánchez a promis mercredi 29 juin une "collaboration totale" de son gouvernement avec les différentes enquêtes ouvertes sur la mort de 23 migrants africains.
"Je veux dire à quel point nous avons été choqués par les images de la violence vue à la frontière entre le Maroc et l'Espagne en Afrique du Nord ce week-end et qui a entraîné la mort de dizaines d'êtres humains, demandeurs d'asile, migrants", a insisté de son côté, Stéphane Dujarric, le porte-parole de l'ONU.